«On ne fait pas de la littérature»

Après le sombre « Cyclo », Zazie renoue avec des chansons plus solaires, comme elle les qualifie

Sorti fin octobre, son nouvel album, son neuvième déjà, s’intitule Encore heureux. Il annonce également son retour sur scène : la marraine de l’édition 2016 de Viva For Life sera à Charleroi ce mercredi. Et passera par le Cirque royal en 2016, le temps de deux étapes de son « Heureux Tour ». Une appellation dont elle se dit désolée : « Maurane m’a dit qu’elle avait fait une tournée qui s’appelait comme ça, il y a 12 ou 15 ans. Je me suis excusée auprès d’elle parce qu’évidemment, je n’en avais pas la moindre idée. Mais voilà, c’est le nom qui m’est venu, ce n’est pas méchant, plutôt sympathique. »

A l’image d’un album plus gai que « Cyclo » ?

S’il était sombre, c’est par ce côté « allons trifouiller dans les zones d’ombre ». Mais la question, pour moi, peut être aussi intéressante que la réponse, c’est même plus souvent le cas, que la réponse toute faite. Après, je comprends que sur autant de questions, on fédère moins, évidemment. Mais ce n’est pas forcément ça qu’on cherche quand on est artiste. C’est d’être en adéquation avec ce qu’on veut exprimer sur le moment. Je ne pense pas que les thèmes abordés dans Encore heureux soient moins énigmatiques ou interrogateurs. En revanche, c’est peut-être plus solaire dans la manière. Il y a un peu plus de « vrais » instruments, c’est un peu plus organique, palpable dans l’épicurisme des choses.

Et plus aéré, aussi ?

C’est vrai que nous étions très chargés, dans cette électro lourde, que moi j’aime bien aussi. Mais voilà, à chaque fois qu’on commence, je me demande ce qu’on pourrait faire, déjà pour composer. Me déplacer ! Za7ie (NDLR : elle dit « Sept ») et Cyclo avaient été faits à la maison, donc on a été prendre l’air, au sens géographique du terme, en partant composer à Santorin. Hors saison, je précise : on n’était pas dans la piscine toute la journée !

Un vrai travail, quoi !

Enfin, « travail » : on s’amuse, quand même ! Mais je voulais retrouver aussi cette notion de partage. J’avais composé Cyclo quasi toute seule. Il existe aujourd’hui des outils qui le permettent… Ici, dans le studio, nous étions au départ à trois devant la console – deux guitaristes et moi au clavier –, avec un petit micro, et deux ou trois boucles parce qu’on n’avait pas de batteur…

Quand on écoute « Encore heureux », difficile de ne pas penser à Pink Floyd !

J’avais onze ans et demi quand j’ai eu une révélation en découvrant Dark side of the moon. Je le vivais de plein fouet, j’étais vraiment contemporaine à sa sortie : au tout début de l’adolescence, c’était juste parfait ! On était habillé de violet des pieds à la tête, on sentait le patchouli, et on écoutait ça des heures en faisant (NDLR : suit une vocalise totalement intranscriptible mais assurément spatiale). On était dans l’indicible : je ne parlais pas anglais, je pouvais donc mettre exactement ce que je voulais comme ressenti. Christophe, dans les années 70, a été très important pour moi aussi, côté chanson française, et à la limite un peu italienne avec cette espèce de mélancolie un peu moite… Pareil pour une série comme Twin Peaks… Ces petits patchworks-là, sans chercher à faire pareil ou « à la manière de », se retrouvent très souvent dans nos… illustrations, qui ressemblent à nos références premières. Ce n’est pas une référence fashion, pas celle de tendance. Peut-être qu’à 50 ans, on est enfin débarrassé du jeunisme, parce que ce serait ridicule. Du coup, on retrouve l’ado qui sommeille en nous, mais qu’on n’a jamais vraiment perdu de vue : des albums comme Made in love (NDLR : 1998) étaient déjà très imprégnés de ce truc organique, de groupe…

La différence, c’est qu’aujourd’hui, c’est totalement assumé ?

Oui, je me sens assez libre ! On est toujours influencé par des choses, on part toujours des mêmes ingrédients, des œufs, machin, et pourtant, votre gâteau ne va pas ressembler au mien. On va doser, pas faire attention, ou même se laisser aller à ces influences-là, sans plagier, sans chercher à reproduire, mais sans chercher non plus à être absolument différent.

Vos albums très importants actuels, quels sont-ils ?

Bonne question… Est-ce que le format d’album est aujourd’hui aussi considéré, avec cette immédiateté de consommation de la musique ? J’ai l’impression qu’on écoute plus des petits bouts… Moi, j’ai encore ces sensations-là quand Radiohead sort un disque. Ils ne sont pas tout jeunes, mais j’ai encore l’impression que c’est nouveau, qu’ils tentent des trucs. De temps en temps, ils me perdent : c’est la b.o. de mes rêves la plupart du temps, mais aussi de certains de mes cauchemars et parfois, j’aimerais me réveiller après telle ou telle chanson parce que je n’ai pas compris, c’est un peu touffu, ça me met un peu mal à l’aise… Mais oui, ces albums-là me font encore ça ! En même temps, la musique qu’on écoute n’est pas la musique qu’on fait. Et puis, il faut arriver à accepter que ce qu’on fait va être pris et consommé autrement. Si artiste il y a, on devrait accepter cette part de désintégration de notre travail. Ce n’est que des chansons. Ça peut être aussi des petites pastilles pour passer l’aspirateur, on n’est pas obligé à chaque fois de se prendre pour Baudelaire, on ne fait pas de la littérature !

Comment Zazie fait-elle pour se réinventer sans se renier ?

Le terme ne serait peut-être pas « se réinventer », mais « se retrouver », ou « se trouver ». Et dans cet exercice-là, qui est déjà très personnel – il y a des gens qui n’ont pas du tout envie de savoir qui ils sont –, on a la chance d’avoir cette expression, cette sensation très joyeuse de partage quand on fait de la musique. Qui est rarement compliquée, sauf si de temps en temps, on se dit « ah non, là, le pont, j’ai l’impression de l’avoir déjà fait, allez, on essaie de le trifouiller. » Mais c’est toujours très, très jovial, ce n’est pas du tout un métier. Et puis, il y a les mots. Là, on est quand même obligé d’avoir un petit constat d’honnêteté avec soi-même. Pas forcément d’invention, je ne vais pas d’un coup être blonde et avoir une énorme poitrine. Mais justement, d’être de moins en moins dans le fantasme de soi, ou dans l’envie d’être quelqu’un d’autre. Cette petite personne qui est vraiment profondément moi-même, qui peut-être a encore du mal à exprimer cette simplicité-là, me donne plus de joie que, souvent, tous les fantasmes que je peux avoir de moi. Et en musique, c’est intéressant de regarder de temps en temps vers le haut, comme un moment un peu hors temps, extraordinaire, et de le ramener à un sentiment extrêmement palpable et ordinaire. De plus en plus, je cherche ça. Je n’arrive pas forcément à le formuler, je me sers encore de métaphores un peu grandiloquentes, romanesques, mais parce que c’est ça que je veux dire : le souffle, la sensation, pas forcément le sens, qui m’importe de moins en moins, en fait.

Avoir entendu chanter des amateurs pendant des semaines et des mois (Zazie a été jurée pour The Voice, version hexagonale) vous a apporté quelque chose, pour ce disque-ci ?

Oui, indéniablement ! Pour deux choses. Dans le cadre de cette émission, les gens chantent des reprises – j’adorerais que ça soit des compositions originales, mais bon –, et ça a le mérite de renouer avec le plaisir épicurien de chanter. Une sensation physique, être émue, qui dans ce cas précis pourrait aussi arriver s’ils chantaient le bottin. Il y a ce truc très instinctif, très animal du plaisir de chanter. Je ne me sens pas chanteuse – je ne fais pas de distinction entre compositrice, auteure, interprète –, j’aime bien aussi changer ces rôles-là –, mais on peut oser le plaisir un peu plus vocal, un peu plus organique aussi. J’ai toujours aimé chanter, mais quand j’arrive avec un casque dans la cabine, je me dis qu’il faut que ça soit sérieux parce que c’est la voix définitive. Alors là, j’ai aussi parfois chanté à trois heures du matin, après avoir bu un bon verre de bordeaux : je n’avais pas envie d’être démonstrative, mais de ressentir.

Propos recueillis par

DIDIER STIERS

Didier Stiers

commenter par facebook

répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *