Au fil de ses concerts passés, le groupe anglais s’est imposé comme véritablement fait pour la scène. Il sera ce soir sur celle de l’Orangerie, au Botanique. Et c’est complet !
Pas question pour autant de négliger le format « disque ». Sur Adore life, leur second album, les quatre filles emmenées par la Française Jehnny Beth ont également renoué avec une certaine essence du rock : organique, sauvage (forcément) et non dénuée de signification. Après « méthode de travail » (voyez le Mad du 27 janvier), nous avons causé avec la chanteuse et sa bassiste de « public » et de « fans ».
Vous avez un jour signé une petite note bien piquante à l’égard de ceux et celles prenant des photos avec leur smartphone pendant vos concerts… Elle a eu de l’effet ?
Jehnny Beth : Nous avons grandi avec un public, et ce public nous a changées. Il fait partie de notre processus… Enfin, je ne dirais pas que nous voulons l’impliquer là-dedans, parce que je n’aimerais pas que ça soit consensuel, ou que ce public nous dise quoi faire, mais que notre musique puisse avoir un impact est important pour nous. Et le lien qui peut exister entre un groupe et son public aussi. C’est là-dessus que nous voulons nous grandir. Nous avons commencé en nous disant que ce lien était bien, mais aujourd’hui, il est encore meilleur. Donc oui, c’est essentiel. Comme cette histoire de téléphone qui nous a paru essentielle à l’époque.
Ayşe Hassan : L’information a circulé, et les gens respectent la demande parce qu’ils savent que nous l’avons faite à l’époque. En même temps, il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’il vaut mieux s’immerger dans l’instant qu’enregistrer un mauvais son ou de mauvaises images pour les balancer sur un réseau social. Ça tombe sous le sens. Je crois que beaucoup de nos fans l’ont compris et sont d’accord. Ça distrait, quoi, ce n’est pas nécessaire, laissez-vous juste aller !
J. : Et donc, nous sommes passées du gsm au moshpit ! Ce qui était notre but (rires). Je veux dire : concentrer cette énergie, comme s’il n’y en avait jamais assez.
Les gens ont aujourd’hui perdu de vue que la musique peut aussi être une expérience immersive ?
J. : Peut-être… Tu sais, celui qui a acheté son smartphone bien cher a en fait vendu sa liberté… Mais il pense que l’utiliser est une manière d’exprimer sa liberté (rires). Ce qui est assez effrayant, quand on y pense. La liberté, c’est quelque chose de plus profond que ça, de plus personnel… Mais parfois, nous jouons avec cela. Je me souviens d’un concert au Mexique : je suis allée dans le public et je me suis retrouvée dans une mer de téléphones. Alors j’ai dit aux gens : « Ok, vous prenez une seule photo, maintenant ! » Et j’ai posé. Et puis j’ai dit : « Tous les téléphones dans la poche, je ne veux plus voir que vos têtes, profitez-en ! » Et ils l’ont fait.
On se sent comment sur scène, quand on voit les gens obtempérer comme ça à la moindre demande ?
J. : C’est merveilleux. C’est fun… Je leur en suis gré, et je sens le lien qui nous unit à eux. Pourquoi ?
Ben… ça ne m’est jamais arrivé d’avoir autant d’effet sur autant de monde…
J. : Je pense qu’on apprend à parler au public. On peut aussi apprendre quelques « trucs » pour se faciliter la tâche… Mais c’est quelque chose à quoi nous avons dû réfléchir : nous sommes un jour allées à la rencontre d’un public, qui a répondu tellement chaleureusement que nous avons dû trouver un moyen pour ne pas trahir cela tout en restant les Savages. Et trouver un moyen pour communiquer.
A propos, le nom du groupe sonne un peu comme une déclaration… Il n’est pas parfois dur à porter ?
J. : Parce que c’est fort ? J’aime les noms à la hauteur desquels il faut être. Comme Johnny Hostile (ndlr : leur producteur, mais pas que – elle s’écroule de rire). J’aime aussi ne pas avoir le choix, c’est autrement plus significatif que vivre à une époque où l’on a tant de choix. Je crois que ne pas avoir le choix vous rend parfois plus aimant, compatissant… Parce que vous ne pouvez pas vous détourner !
Didier Stiers
> Savages sera également à l’affiche de Werchter, le samedi 2 juillet.
> Un concert d’une demi-heure, à découvrir sur Arte.