Nous retrouvons Matthew, Ziggy et Romain dans un bar de Schaerbeek, quelques jours après leur passage par La Madeleine. Et quelques jours avant leur départ pour Paris, où La Maroquinerie attend Puggy pour cinq soirs.

Qu’aviez-vous envie de faire, cette fois-ci ?

Romain Essayer de nouvelles façons de travailler. C’était important : Colours est notre quatrième album. Nous l’avons produit avec David Kosten (NDLR : l’homme de Faultline). C’est aussi l’expérience acquise qui nous a permis de produire nous-mêmes une partie du disque. David nous a d’ailleurs un peu poussés à le faire : il a eu notre « démo », il a voulu en garder la moitié, et pour le reste aller en studio et enregistrer. Pour nous, c’est une approche relativement différente : sur un an et demi, il faut être spontané à n’importe quel moment du procédé. Mais travailler comme ça était assez rafraîchissant.

Il vous aura fallu quatre albums pour acquérir cette expérience ?

Matthew Nous savions ce que nous aimions dans les productions, mais nous ne savions pas le faire nous-mêmes. Ingénieur du son, ça reste un métier. Producteur, ça reste un métier. Nous avons appris tout ce que nous pouvions, et nous avons essayé d’imiter au maximum. Là, nous sommes moins dépendants du studio « fermé », mais je crois aussi qu’il y a eu une énorme évolution des technologies. Nous avons toujours écouté de l’électro, mais récemment, c’est en nous demandant comment ils travaillaient. Même chose pour le hip-hop : le développement du sample ces vingt dernières années, son utilisation, le fait qu’il soit presque passé dans le mainstream… Nous avons été hyper intéressés par toutes ces technologies. Aujourd’hui, si tu as un laptop, un software et des idées, tu peux faire de la musique.

Alors que vous, vous venez du live…

M. Nous venons vraiment de la scène : nous composions des morceaux en live, nous rentrions en studio et des ingénieurs du son nous enregistraient. Maintenant, nous avons appris, par curiosité, par intérêt aussi, par volonté de se renouveler. Nous avons adopté ce système de travail qui se rapproche plus de l’électro et du hip-hop. Sans en faire, nous n’avons pas du tout cette prétention. Mais le processus est hyper intéressant : dès que nous avions une idée, nous pouvions tout de suite nous lancer dans la production de cette idée… Ou y revenir quatre mois plus tard.

Qu’est-ce qui vous a menés à l’électro et au hip-hop ?

M. Nous en avons toujours écouté. En réalité, ça a toujours fait partie de notre musique, mais c’est tellement discret. C’est marrant : tu écoutes ta musique d’une certaine façon, et les gens l’écoutent d’une autre… Mais nous avons toujours écouté tous les styles de musique, que ce soit du reggae, du métal, du classique, du jazz, du funk, du blues… Et tous ces genres-là, nous les mélangeons. Comme le font beaucoup de gens aujourd’hui : tout se mélange, c’est éclectique. Nous sommes moins dans le « tu vis là, donc tu t’habilles comme ça et tu écoutes ça ».

R. L’électro, chez nous, c’est plus dans la manière de faire, en support des éléments organiques. Quand Ziggy joue de la batterie, par exemple, il y a un moment où, sur le troisième temps, nous allons rajouter une caisse claire juste pour que ça ne soit pas tout le temps la même caisse claire. Je crois que c’est surtout ça, cette culture des Diplo, des Skrillex et autres : ils ont quasiment tous les mêmes boîtes à rythmes, mais ils les font sonner différemment. La leçon, c’est d’arriver à donner une âme à des trucs complètement banals. Faire en sorte qu’on ne puisse plus dire : « Ah ! oui, là, c’est une 727 et là, une 828 (NDLR : les boîtes à rythmes de chez Roland). Il n’a même pas fait l’effort de cramer un peu le truc ! » C’est aussi ce que nous avons appris au fur et à mesure des années, donner une personnalité aux instruments.

Votre nouvel album a été composé au Théâtre américain : comment vous êtes-vous retrouvés là-bas ?

R. Nous n’avions pas de local ! Ça fait des années que nous en cherchons un !

Ziggy Nous sommes un peu le groupe nomade de Bruxelles.

M. Nous ne sommes pas les seuls…

Avec un CV comme le vôtre, vous êtes malgré tout sans local fixe ?

R. Nous avons d’abord squatté au Swimming House Studio (NDLR : à Ixelles). Stéphane Schrevens nous a loué l’arrière de son studio pendant tout l’hiver. Ensuite, une amie de notre manager nous a suggéré d’aller au Théâtre américain où se trouvaient d’énormes espaces libres. C’était hyper loin, mais nous n’avions nulle part où aller et, une fois de plus, nous étions sans bail… Mais c’était cool : nous devions y rester trois mois, et nous y avons passé un an.

Z. L’endroit a énormément influencé l’album. De par le simple fait d’être seuls au milieu d’un grand bâtiment, à Bruxelles mais pas vraiment à Bruxelles… C’était vraiment étrange. Et nous disposions de 100 mètres carrés alors qu’auparavant, nous avons toujours eu des chambres, des salons ou des garages. Avoir une grande pièce, pouvoir laisser les instruments un peu partout, ça a forcément influencé le son de ce disque et notre musique en général.

M. Ce sont les anciens studios de la VRT, où nous avons utilisé la cuisine et l’espace catering. L’endroit est réputé. Nous avons entendu que les Stones étaient passés par là… Se dire que nous étions en train de produire notre disque dans la cantine où les Stones, les Who et d’autres étaient venus bouffer avant d’aller faire leur émission de télé, leur promo belge, ça me fait rire. Mais je crois que pour un groupe, le luxe ultime, c’est le temps. Et là, nous avions le confort de nous trouver dans un endroit où il faisait sec, qui était chauffé, ce qui n’a pas toujours été le cas…

Concrètement, en quoi les lieux informent-ils la couleur de vos morceaux ?

M. Je pense que l’endroit a une influence de dingue ! Notre politique, c’est de bosser pendant les heures de bureau. Neuf, dix-huit ! Je prenais le métro tous les matins. De la station Heysel au Théâtre, ça fait une belle balade, au frais, au calme. Souvent, c’était juste moi et les lapins dans le parc… Nous avons tourné pendant deux ans, et vécu dans une sorte de brouhaha constant. C’est une énergie et c’est génial, mais nous avions besoin de nous retrouver juste à trois, et de créer.

Là, vous ne pouviez vous isoler plus !

M. Nous étions dans un lieu complètement désaffecté, au bout d’un couloir, sans voir un chat pendant toute la journée. Ou juste deux chats errants que nous avons appris à connaître un peu… Quand nous revenions tard le soir, il y avait le gang des bikers, les Kamikaze Riders, qui faisaient des wheelings sur la route. Une fois, nous sommes arrivés à deux heures du matin, et des mecs faisaient un barbecue devant ! C’était une atmosphère étrange, très surréaliste.

Et ça a plu à la firme de disques ?

M. Elle nous a foutu la paix pendant un an. Nous lui avons littéralement rendu les masters en disant « voilà l’album ». Et quand nous lui avons dit que nous aurions aimé bosser avec David Kosten : « Heu, le mec qui fait de l’électro, là ? Bon, OK, allez-y, on va voir ce que ça donne ! » Tu trouves étrange que nous n’ayons pas d’endroit où bosser, mais nous avons eu le privilège de pouvoir bosser en paix pendant un an sur de la musique. Nous sommes très peu à avoir cette chance-là !

Didier Stiers