Le troubadour vendéen revient avec « Le Film », un très beau nouvel album qu’il présentera aux Nuits Botanique, samedi. Entretien.
Maître Katerine revient parmi les siens. Les humains. Son nouvel album, Le Film, est un petit bonheur de douceur dans lequel il se réapproprie « la mélodie française. Quand Poulenc faisait chanter Apollinaire, Darius Milhaud, Satie… Je crois que j’ai dû me faire un trip de ce genre sans savoir ».
Rendez-vous était pris un début d’après-midi, au sortir de table, dans les bureaux de [PIAS]. L’ambition : visiter un tant soit peu la boîte crânienne du poète et en ramener quelques images, quelques idées qui nous permettent de mieux comprendre comment les choses se passent là-dedans.
Philippe Katerine apparaît, à la fois très à l’aise et un peu réservé, doux comme un doudou dans ses réponses qu’il prend le temps de formuler : « Là, je réfléchis à tout ça en répondant… Les interviews, c’est ça, tu vas de fil en aiguille, tu trouves une clé qui ouvre une porte. Lorsque j’écris une chanson, je n’en parle jamais » . Mais alors qu’on s’apprête à lancer le magnéto, il s’excuse : « Il faut que je me mouche… »
C’est la mort de votre papa qui est l’acte de naissance de cet album. Vous dites que vous aviez des envies de meurtre. Et vous revenez avec votre disque le plus doux et apaisé. Comment est-ce possible ?
C’est vrai que c’est curieux. Sans doute parce que justement, il est arrivé un gros truc… Je suis parti en voiture sans savoir où aller. J’ai écrit des chansons au piano sans savoir en jouer. Je me suis lancé, c’est tout.
Pourquoi le piano, justement ?
Je ne sais pas, ça s’est fait à l’instinct. Il y a un piano chez moi que je n’avais jamais trop regardé. J’avais des textes, j’ai vu le piano, j’ai essayé, et ça a marché tout de suite. J’ai d’ailleurs failli appeler l’album « Piano » dans le sens mollo-mollo. Le piano, c’est un truc un peu littéraire, ça laisse la place aux mots. C’est très civilisé.
Vous vouliez garder les imperfections ?
Oui, ne pas trop savoir ce que je disais, que cela reste un premier jet. Je suis un peu éjaculateur précoce, ce qui est lancé est lancé. Après, c’est difficile d’y retoucher.
Est-ce qu’il y avait une prise de distance par rapport à « Magnum » qui était très produit, très mis en scène ?
Non. Ca s’est trouvé comme ça. Ce n’est pas en réaction. C’est juste que j’avais ces chansons-là qui imposaient une certaine nudité. Il n’y avait pas de choix à faire.
Vous ne partez jamais d’un concept pour créer ?
Ah non, jamais. C’est toujours à l’instinct. Je suis une bête. Je ne fais jamais de chanson avec une intention. Je ne me dis jamais « je vais écrire une chanson sur une journée de chimiothérapie », pour choisir un sujet léger…
Avez-vous pris peur à un moment de rester coincé dans cette image de « bouffon de la chanson française » ?
Moi, je n’ai jamais peur (sourire). Je fais ce qui me plaît au moment où il faut que je le fasse. Il m’est arrivé d’utiliser le grotesque… Parce qu’il fallait que je le fasse. J’aurais pu aller encore plus loin, ça aurait été bien aussi. Je me fiche un peu de ce qu’on peut dire de moi. Sinon, je n’aurais même pas fait ce disque.
Est-ce que vous vous sentez incompris ?
Incompris ? Non. Quand Zemmour s’excite devant moi à la télé, je trouve ça normal. Chacun est à sa place. J’aurais été vachement inquiet du contraire, à vrai dire. Et puis, on ne peut pas dire que je suis incompris, ça fait quand même vingt-cinq ans que je fais de la musique, je ne m’en sors pas si mal.
On peut se demander à quel degré il faut prendre votre musique…
Ah, ça oui, d’accord. Mais j’ai toujours été premier degré, moi ! Après, il y a l’idée de s’amuser, de jouer avec les gens, de les énerver… Mais ce n’est pas second degré, parce que ça vient toujours d’un truc personnel à régler. Une angoisse, la plupart du temps. C’est juste de la mise en scène d’angoisses. Au début je ne pensais pas du tout au public, je n’en avais pas conscience. Puis à l’époque de « Louxor, j’adore », il y avait plus d’écoute, alors, je me suis dit que j’allais jouer avec les gens pour m’amuser. Et pour les amuser aussi. Mais avec ce nouveau disque, je n’ai pas du tout pensé aux gens.
Je parlais avec Sébastien Tellier de cette image de « bouffon ». Et lui me disait comme vous qu’il était toujours premier degré. Il parlait de sa musique comme d’un « art naïf »… Vous vous sentez proche de ça ?
Non, moi je suis tout sauf naïf. Je suis plutôt art brut. Sébastien Tellier, ce qui fait le sel de ses chansons, je trouve que c’est effectivement ce côté naïf qui est très attendrissant. Mais jamais je ne pourrais penser qu’il est second degré ou quoique ce soit. On voit bien que c’est une limpidité de cœur directement reconnaissable. J’adore ce qu’il fait, mais je ne me sens pas du tout comme naïf.
Vous comprenez qu’on puisse vous rapprocher ?
Il a un rapport à la musique différent de moi, car je pense qu’il est plus obsessionnel que moi. Mais je trouve ses disques à chaque fois passionnant, le dernier qu’il a enregistré au Brésil est génial. On voyait bien que c’était la première fois qu’il chantait en français. Ce qui lui donnait effectivement un côté naïf. Quant à moi, je suis brut. Le premier jet.
En écoutant le dernier album, je me disais que vous dessiniez les chansons au piano…
Je dessine beaucoup. Peintre, hélas, je ne supporte pas l’odeur de peinture, je n’aime pas avoir les doigts sales… Peintre, oui, comme un peintre représente son environnement proche et essaie de restituer, à sa façon, une vérité qu’il peut voir. Pendant le disque, j’étais obsédé par Van Gogh, complètement. Tous les matins je regardais une de ses peintures, je suis parti sur ses traces, j’étais vraiment obsédé…
Et vous avez compris pourquoi ?
Oui.
Pourquoi ?
Je crois que c’était quelqu’un qui essayait de s’insérer dans la société, qui essayait de trouver sa place, bien qu’il ne l’ait jamais trouvée. Van Gogh, c’est un chien abandonné. Et c’est aussi un vaste malentendu, quelque part. Il est plein de maladresses. C’est un très bon dessinateur, mais un peintre, disons, au début, tout le monde riait, se moquait… Parce que c’était mal fait, maladroit, gauche. Et c’est ce qui a fait le sel de sa peinture. Ce côté « je fais comme je peux ». C’est le plus touchant chez lui. Mais ce n’est pas naïf, c’est brut.
Propos recueillis par DIDIER ZACHARIE
Philippe Katerine – Papa / Compliqué – Le Grand… par canalplusmusic