Un Radiohead inatteignable à Amsterdam

Le groupe d’Oxford a lancé sa tournée par deux dates au Heineken Music Hall d’Amsterdam. Nous avons assisté à la deuxième. Verdict.

Le Heineken Music Hall est une sorte d’Ancienne Belgique à la taille de Forest National situé au sein d’un de ces complexes divertissement-sport-et-commerce qui poussent un peu partout en Europe en bord d’autoroute. Un environnement anonyme, vide et dénué d’âme qui colle finalement bien avec l’esthétique à la J.G. Ballard de Radiohead. Paranoïa, déshumanisation, règne de la technologie, consommation de masse,… En somme, tout ce que la bande à Thom Yorke dénonce depuis OK Computer. Or, d’une certaine manière, l’ombre de cet environnement aura traversé tout le concert, samedi, pour la deuxième date de la tournée mondiale qui suit la sortie du neuvième album du groupe A Moon Shaped Pool.

Ça commence en douceur avec « Burn The Witch », premier extrait du nouvel album, présenté ici dans une version remodelée, crescendo, presque jazz. Surplombant le groupe, six écrans vidéos prolongés par six draps en fond de scène. Jeux de couleurs, gros plans sur les musiciens. Une scénographie sobre, qui ne fait qu’accompagner la musique. Laquelle se fait somptueuse dès le deuxième morceau, « Daydreaming », sur lequel Radiohead parvient à transformer cette gigantesque arène en salle intimiste. Le silence est d’or, l’attention à son comble et on est bientôt transporté par les notes de piano dans une rêverie en plein jour. Pour un peu, on se croirait au Reine Elisabeth. C’est purement et simplement magnifique. Le concert a commencé depuis cinq minutes et Radiohead prouve qu’il peut tout se permettre, qu’il se permet tout et qu’il a les capacités de ses ambitions. Mais voilà, le meilleur moment de la soirée est déjà passé.

Le premier problème, c’est que le groupe semble vouloir continuer sur cette voie, à savoir transformer le Heineken Music Hall en salle Reine Elisabeth et faire du rock une musique savante. Son péché mignon, en somme. Or, sur la longueur, ce n’est pas possible. Si bien que la première heure durant laquelle Thom et ses sbires joueront le nouvel album dans l’ordre, en deux parties entrecoupées de vieux titres, Radiohead nous apparaîtra comme distant, isolé dans sa bulle, se regardant un peu trop jouer, tel un groupe de jazzmen virtuoses ne prenant pas en compte le public. Au risque de paraître prétentieux. Et c’est finalement cette sensation qui restera après le concert: celle d’un groupe qui survole à ce point les choses qu’il en est inatteignable pour le commun des mortels.

Et puis, il y a le cas du back catalogue dont l’offre a sensiblement variée d’un concert à l’autre. Deux catégories: les tubes de seconde classe qui méritaient peut-être un meilleur destin (« All I Need », « Nude », « There There », « Lotus Flower », « Talk Show Host »…) où l’accent est clairement mis sur The King of Limbs – qui se révèle aujourd’hui à nos oreilles!; et les tubes de première classe disséminés au compte-gouttes et interchangeables. Et c’est un autre problème. Car ces derniers ne s’inscrivent plus dans un tout, mais en tant qu’individualités. Si bien qu’à partir d’un moment, le concert s’est retrouvé sans réelle direction, devenant quelque peu décousu, en manque de rythme. Pris un à un, les titres sont impeccables tant dans leur performance que dans leur écriture, mais dans l’ensemble, le concert n’a jamais vraiment décollé.  (Exemple: après la montée en puissance de « Ful Stop », Radiohead n’enchaîne pas sur un « Paranoid Android » ou un « The National Anthem » (par exemple) pour faire décoller le concert mais se plonge dans « Lucky », chanson aimée de tous, mais qui fait retomber l’atmosphère, laquelle s’envolera jamais réellement…)

Les choses s’amélioreront en fin de set avec le diptyque de la période Kid A, soit « The National Anthem » et « Everything In Its Right Place » qui, s’ils ne surprennent plus, sont toujours aussi efficaces. En rappel, les fans ont eu droit à « Karma Police » et « Street Spirit » avant un deuxième rappel plus relevé (« Bodysnatchers » et « Idioteque ») qui nous laissera finalement un peu frustré. Les choses avaient enfin décollé…

Ce deuxième concert de la tournée nous laisse donc un sentiment mitigé. D’un côté, Radiohead a rappelé sans peine qu’il était le groupe le plus brillant de sa génération (techniquement irréprochable, des compositions sans faille…); de l’autre, il apparaît aussi de plus en plus distant, comme retranché loin des gens sur sa lune en forme de piscine…

DIDIER ZACHARIE

NETHERLANDS-MUSIC

NB. Il y a eu ce running gag, dès le début du show… Un type hurlant « Creep » tous les x morceaux. Ce qui n’a pas manqué de faire sourire, tant il est devenu improbable pour tous depuis des années que Radiohead joue à nouveau son premier tube en concert. Au rappel, Thom Yorke revient sur scène, dédicaçant « Give Up The Ghost » au « type marrant dans le fond qui réclame ‘Creep’ depuis tout à l’heure ». Il fait une pause et ajoute: « On est là pour vous surprendre ». Certes. Sauf qu’au stade où ils en sont, le plus surprenant aurait encore été de jouer « Creep » plutôt que, disons, « Karma Police ». Un tube vaut bien l’autre, non? Et en même temps, on les comprend. Durant « Lucky » et « Karma Police » (justement), les gens se sont mis à chanter. En dodelinant. A tel point que d’un coup, on s’est retrouvé à un concert de Coldplay. Sérieusement, c’en était carrément flippant. Si bien qu’on n’ose même pas imaginer le malaise s’ils avaient joué “Creep”… (Merci pour ça!)

Concert by Radiohead in Amsterdam

Setlist vendredi: Burn The Witch/ Daydreaming/ Decks Dark/ Desert Island Disk/ Ful Stop/ Morning Mr Magpie/ There There/ The Daily Mail/ My Iron Lung/ Videotape/ Identikit/ The Numbers/ The Gloaming/ Lotus Flower/ Everything In Its Right Place/ Idioteque/ Bodysnatchers RAPPEL 1 Bloom/ Present Tense/ Paranoid Android/ Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief/ Weird Fishes (Arpeggi) RAPPEL 2 You And Whose Army?/ Reckoner

Setlist samedi: Burn The Witch/ Daydreaming/ Decks Dark/ Desert Island Disk/ Ful Stop/ Lucky/ There There/ Lotus Flower/ All I Need/ Talk Show Host/ Identikit/ The Numbers/ Present Tense/ Separator/ Nude/ The National Anthem/ Hunting Bears/ Everything In Its Right Place RAPPEL 1 Give Up The Ghost/ How To Disappear Completely/ Karma Police/ Bloom/ Street Spirit (Fade Out) RAPPEL 2 Bodysnatchers/ Idioteque

Journaliste lesoir.be

commenter par facebook

7 Comments

répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *