La bande de Michael Gira est de retour avec The Glowing Man, nouveau disque monde et testament de l’incarnation actuelle du groupe. Entretien.
Né à New York au début des années 80, Swans s’était séparé quinze ans plus tard, frustré par l’hostilité et l’incompréhension qu’il suscitait. Réputé « le groupe le plus violent du monde » à ses débuts, il est devenu après sa « réactivation » en 2010 le groupe le plus intense et fascinant à vivre en live, trouvant enfin son public grâce à deux albums monstres (The Seer en 2012 et To Be Kind en 2014) et des prestations habitées, proches de l’expérience spirituelle. Rencontre avec son shaman en chef, le fascinant Michael Gira, 62 ans, à l’heure de The Glowing Man, présenté comme le dernier volet de cette incarnation de Swans.
Saviez-vous, en entrant en studio, que « The Glowing Man » serait votre dernier disque avec ce groupe ?
Oui. J’avais le sentiment que nous avions atteint le pinacle de ce que nous pouvions faire ensemble. Sinon, on allait commencer à se manger les doigts. Cela fait sept ans que nous sommes ensemble, je suis sûr qu’on va faire une belle tournée, mais il est temps de se trouver un nouveau challenge.
Vous avez un jour utilisé ces expressions pour décrire votre musique : « Destruction du corps » et « élévation de l’âme »…
Quand est-ce que j’ai dit ça ? Il y a trente ans ?
Probablement… Il semble que vos premiers albums soient plus enclins à la « destruction du corps » et que la partie « élévation de l’âme » est arrivée plus récemment. Diriez-vous que « The Glowing Man » est l’achèvement de ce processus ?
Je l’espère. C’est en tout cas l’ambition des performances live. L’enregistrement est un processus plus intellectuel et statique. Mais, en live, la musique vous transporte, c’est presque transcendant. Cela ne marche pas à tous les coups mais quand ça fonctionne, je me sens comme l’homme le plus heureux du monde…
Est-ce le sujet de « The Glowing Man » ? La transcendance ?
Cela peut se référer à cela, oui. Mais la musique est sa propre expérience. Elle n’a pas pour but de vous enseigner quelque chose sur tel ou tel sujet en dehors de sa propre expérience. Elle se suffit à elle-même.
Les trois derniers albums forment comme une trilogie. Vous êtes d’accord ?
Eh bien, ce sont trois albums. Mais ils sont une seule et même œuvre, en vérité. Ils se nourrissent l’un l’autre. Dans ce disque, il y a un passage d’un titre de l’album précédent qui a évolué vers autre chose. Vous prenez ces trois disques et aucun ne pourrait exister sans le précédent. C’est la manière dont nous procédons en live également. Un titre de trois minutes peut évoluer en quelque chose qui finit par en faire trente. Il s’agit juste de suivre ce que la musique demande.
C’est ainsi que vous composez ? En concert ?
Je dirais plutôt que c’est en concert que la musique se développe. Ensuite, il y a le travail en studio, l’orchestration, etc. C’est un processus différent. Et puis il y a d’autres titres qui sont composés à la guitare acoustique.
Vous jouez rarement des titres déjà enregistrés en concert. Est-ce que la scène est le lieu où la musique prend vie ?
C’est vrai, mais la musique prend vie sur scène et en studio. Ce sont simplement deux expériences différentes. C’est pourquoi nous n’essayons pas de sonner comme sur disque en concert, ce serait une perte de temps. Je veux expérimenter les choses sur le moment.
Considérez-vous que la performance live se rapproche d’une expérience spirituelle ?
Ça peut l’être, oui. Ça peut être comme une prière, ou de la méditation. Ou ça peut être comme un bel acte sexuel d’amour. Tu sais, c’est ainsi que la musique est à son meilleur, quand elle te transporte loin dans le moment présent. En 2011, c’est là qu’on a commencé à savoir où on allait. Et si vous avez expérimenté le concert comme une expérience spirituelle, on l’a ressenti aussi sur scène. C’est une expérience partagée. C’est ce qui fait un bon concert.
Pour en revenir à l’album, vous avez repris de vieilles paroles qui avaient été utilisées à l’époque par Sonic Youth. À quoi ressemblait la scène no wave du début des années 80. Vous êtes-vous jamais senti en faire partie ?
Non, quand on est arrivé à New York au début des années 80, c’était déjà terminé. Mais c’est vrai qu’on a été influencé par cette scène, cette manière brute de s’exprimer. Parce que certains étaient secrètement de très bons musiciens, mais la plupart ne savaient pas jouer de façon conventionnelle. Lydia Lunch ne savait pas jouer de guitare, mais elle l’utilisait pour s’exprimer et en sortait quelque chose de brut et radical, elle créait une expérience sonore. Suicide de même, avec des synthétiseurs… Et le punk, qui n’a jamais été à propos de trois accords vite joués, mais bien une manière d’exprimer la violence, le désarroi, la douleur de la façon la plus brute qui soit. C’était aussi une grande influence.
Je posais aussi la question parce que Swans semble n’avoir trouvé son public que très récemment…
Oui. On avait une réputation (celle de groupe le plus violent sur scène – NDLR)… Aujourd’hui, je pense qu’on a atteint notre sommet au niveau de l’audience. On ne pourra pas l’élargir avec le style de musique qu’on fait. On ne fera jamais de musique pop. Et ce public est très gratifiant, il ne vient pas à nos concerts parce que c’est à la mode ou que sais-je ? Il vient pour l’expérience.
Comment expliquez-vous que vous soyez enfin compris aujourd’hui ?
Je n’ai pas abandonné (sourire). Mais peut-être aussi est-ce la musique qui a évolué. Peut-être que ce que nous faisons aujourd’hui est plus accessible. Je ne sais pas.
Finalement, vous êtes d’accord avec ce que vous avez dit ? Que votre musique était un mélange de « destruction du corps » et d’« élévation de l’âme » ?
Well, ça sonne un peu pompeux, non ? On fait juste du rock, dude !
Propos recueillis par DIDIER ZACHARIE