Quatrième album déjà pour le Danois Anders Trentemøller, qui a croisé les filles de Savages.
Quand il s’agit de brouiller la piste de ses origines électro, le Danois s’y entend comme personne. Sur Fixion, son petit dernier en date, il laisse ainsi le champ libre aux instruments plus traditionnellement pop et aux chanteuses. L’album a en partie été concocté à New York. Chez sa petite amie, où il n’a emmené qu’un laptop et deux petits synthés : travailler dans certaines limites, sous certaines contraintes, c’est parfois une manière de doper sa créativité !
Aujourd’hui encore, quand tu proposes un nouveau titre, il se trouve des gens pour te demander si tu comptes en faire une version techno. Pas simple d’avoir envie d’évoluer ?
Oui et non. Je n’entends pas ce genre de réactions aux concerts. Je vois que le public est toujours assez mélangé, on y croise des « vieux » ravers comme des fans d’indie, des gens qui me suivent depuis mes débuts et d’autres qui m’ont découvert avec l’album précédent. Mais sur les réseaux sociaux, oui, on voit souvent passer de tels commentaires. Vous ne pouvez pas faire plaisir à tout le monde ! Et ce n’est certainement pas mon but : je compose la musique qui me convient. Mais je pense que le public jeune d’aujourd’hui est plus ouvert que celui d’il y a dix ans. Il y a tellement de possibilités d’entendre de la musique venant d’un peu partout.
Est-ce qu’en travaillant sur Fixion, tu as voulu explorer des structures plus pop ?
Quand j’écris, j’essaie de ne pas penser à tout ça sous peine de m’embrouiller. Maintenant, en écoutant l’album, je m’aperçois que certains morceaux chantés collent plus au format radio que ce que je faisais auparavant. Mais ce n’est pas intentionnel. C’est comme si chaque morceau demandait à vivre sa propre vie. Si j’arrive à en écrire un qui repose sur une mélodie bien marquée, je conçois qu’il puisse passer en radio et ça me fait plaisir, mais j’ai juste envie d’être content de mes morceaux. Et qu’ils s’agencent parfaitement dans un format « album » : je n’écris pas des singles.
Comment s’est nouée ta collaboration avec Jehnny Beth de Savages ?
Le groupe m’avait demandé de mixer son dernier album, et j’étais déjà un grand fan du premier. En travaillant, nous avons évoqué la possibilité de faire un jour quelque chose ensemble. Il se trouve que j’avais ce morceau, « River in me », écrit au piano, puis sur lequel j’avais simplement ajouté un peu de boîte à rythmes et une ligne de basse. En général, je ne fais pas écouter ce genre de maquette assez brute à qui que ce soit, je suis assez timide à cet égard. Mais je la lui ai quand même envoyée, j’y retrouvais un peu la même énergie que dans son groupe. Elle a aimé, et puis on s’est dit que ce serait plus amusant de se retrouver dans un même studio plutôt que de se renvoyer des fichiers son. Nous avons passé deux jours dans mon studio, terminé le morceau, enregistré la voix, et écrit un second titre que nous avions déjà mis en chantier en discutant de la même manière.
Ça n’a pas traîné !
Vraiment pas ! Ça m’arrive de passer des mois en studio sur une idée, mais là, nous n’avions vraiment que deux jours. Nous avons terminé alors que son taxi l’attendait déjà ! Je pense que ça a dû lui plaire aussi, de travailler en dehors de Savages.
C’est un peu comme si tu avais écrit pour un autre artiste ?
Non, parce que j’ai travaillé de la même manière, et c’est aussi comme ça que je travaille avec Marie Fisker qui chante également sur ce disque. Quand j’écris un morceau, je pense relativement vite à une voix. Sur l’album précédent, j’en avais sept différentes, ce qui faisait qu’au niveau des atmosphères, ça partait un petit peu trop dans tous les sens. Ici, j’avais pensé faire chanter Marie sur tous les morceaux vocaux, puis j’ai rencontré Jehnny et j’ai trouvé que leurs voix s’assortissaient bien… Au point qu’on pourrait même avoir du mal à les distinguer.
Savages est un groupe qui a une image forte : elle t’intéressait également, ou c’était juste la voix ?
C’était plus pour la voix. Jehnny, Johnny Hostile, qui est son producteur, et moi nous sommes amis : je vois l’image qui est rock’n’roll mais ce sont des gens extrêmement gentils, donc ce n’est pas trop à ça que je pense. Je suis aussi un grand fan de Siouxsie And The Banshees, et il y a quelques similarités. Voilà peut-être pourquoi j’ai commencé par tomber amoureux de sa voix, dès que j’ai entendu le premier album. Ça m’a aussi beaucoup plu de la sortir de cet univers rock post punk et de l’amener dans le mien. Il y a toujours ce petit côté punk, mais c’est maintenant aussi un peu électronique.
De Siouxsie à Cure, il n’y a pas très loin, et le titre de ton album m’a fait penser, écrit autrement bien sûr, au label attaché pendant près de vingt ans au groupe de Robert Smith…
Oui, j’y ai pensé aussi, mais après coup ! Disons que beaucoup d’artistes ont été inspirés par ce groupe. Moi, entre autres. Et par quelques autres des années 90, comme My Bloody Valentine ou Slowdive. J’ai grandi avec eux également. En tout cas, ils ont contribué à ma manière de penser l’esthétique musicale. On en retrouve donc des indices dans ce que je fais, c’est normal. Et plus particulièrement sur le nouvel album. J’ai aussi acheté deux synthés comme ceux utilisés par certains de ces groupes, je pense à Joy Division, et c’est amusant, parce que quand on en joue, on se retrouve tout de suite dans cette vibe. Certains synthés que j’utilise renvoient directement à ces époques.
Ça t’arrive parfois d’être juste fan, ou plus fan que musicien ? Quand Slowdive remonte sur scène, par exemple ?
On jouait après eux au Portugal, quand ils se sont reformés, et c’était vraiment très bon. Je ne dis pas ça seulement parce que je suis fan mais parce qu’ils sont toujours capables de faire quelque chose de magique dans leur son. Donc, ça me poursuit en quelque sorte, et oui, il m’arrive d’écouter les anciens albums de ces groupes, moins souvent que quand j’étais ado, mais de sentir que ça m’apporte toujours quelque chose, même après toutes ces années.
Didier Stiers
(Photo : Andreas Emenius)