Tim Hecker, le profane et le sacré

Le producteur électro canadien présente samedi à Bozar son dernier album directement inspiré des chants grégoriens et polyphoniques du Moyen Âge. Mode d’emploi.

Il est de coutume de ramener au Moyen Âge la naissance de la musique occidentale. C’est en tout cas à partir des chants grégoriens et polyphoniques que s’est développé le système tonal qui a défini la musique savante européenne jusqu’au XXe siècle. Là-dessus, l’électronicien canadien Tim Hecker arrive, observe et se pose la question de «l’esthétique liturgique après Yeezus» ou encore de «la voix transcendantale à l’ère de l’autotune». Plaît-il?

«C’était à moitié une blague», nous rassure un chouïa l’intéressé dans les bureaux de sa maison de disques à Amsterdam. L’idée est néanmoins là, qui sous-tend une grande partie de son oeuvre électronique et expérimentale, celle d’une «musique sacrée dans un environnement profane». A savoir le nôtre.

Pour autant, «il ne s’agit pas de faire de la musique religieuse, mais de jouer avec les formes. C’est comme une danse païenne sur les cendres d’une église… Et en réalité, ça fait partie d’un processus de désacralisation».

Personnage intéressant que Tim Hecker. Né à Vancouver il y a une quarantaine d’années, il développe son attrait pour la musique et les arts à la Concordia University de Montreal avant de devenir consultant politique pour le gouvernement canadien («C’était mon premier job…»). La nuit, cependant, il traîne dans les clubs et commence à enregistrer ses premiers titres techno. En 2006, il lâche tout pour se consacrer à sa thèse sur «le bruit urbain» à la très réputée McGill University. C’est alors qu’il développe un style plus personnel, fait de collages électroniques ambient et expérimentaux, toujours à mi-chemin entre le profane et le sacré.

L’idée de départ pour son nouvel album Love Streams était d’utiliser la voix, comme matériau de base. D’où ce retour au Moyen Âge et aux chants polyphoniques de Josquin des Prés, compositeur bourguignon né vers 1450 et premier grand maître dans le domaine de la polyphonie vocale des débuts de la Renaissance.

«L’idée, c’est détruire, transformer, s’approprier et créer quelque chose de nouveau, explique Tim Hecker, très relaxe devant une tasse de thé. Je suis parti de Josquin des Prés parce que c’est la base de la musique occidentale chantée. A partir du moment où je partais de la voix, c’était le meilleur matériau disponible. J’ai donc transformé ces chants polyphoniques en plages sonores. Je les ai ensuite données au compositeur Johan Johansson qui a écrit de nouveaux arrangements dessus. Si bien qu’il ne s’agit plus de pièces du Moyen Age, mais de tout autre chose, de quelque chose de nouveau».

Le résultat est une expérience sonore assez fascinante dans laquelle on peut entendre clairement le lien entre le XVe siècle et notre ère digitale de surmédiatisation futile et mécréante. De quoi poser la question: l’électronique expérimentale telle que la conçoit Tim Hecker est-elle l’avenir de la musique savante? La réponse fuse: «Non. Je ne défends aucune forme de classicisme. Je suis dans l’électronique abstrait, la sculpture des sons, des formes bizarres d’expressions. Je ne veux rien avoir à faire avec des infrastructures mourantes qui ont pour but de maintenir en place le statut de la bourgeoisie et des sociétés occidentales». Iconoclaste, on vous dit…

DIDIER ZACHARIE

Love Stream *** (4AD/Beggars)

TIm Hecker_DIGITAL

Journaliste lesoir.be

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