Le groupe de Boston donne une suite à « Indie Cindy ». Non sans clin d’œil…
Mons, dimanche 17 juillet, 17 heures et des poussières… Paz Lenchantin et Charles Michael Kittridge Thompson IV alias Frank Black sont assis à la terrasse de leur hôtel. Le temps de quelques interviews. C’est que les Pixies, attendus plus tard en cette fin de week-end sur l’une des scènes du festival de Dour, reviennent aux affaires avec Head carrier, un nouvel album. Appelons-le un premier vrai album – depuis la réactivation du groupe – entièrement conçu avec la remplaçante des deux Kim, Deal la cofondatrice et Shattuck l’éphémère, du moins à ce poste. Le ton est détendu…
N’est-ce pas trop pénible de tourner par les temps qui courent, avec ces menaces terroristes d’un côté et ces mesures de sécurité renforcées de l’autre ?
Frank Black : Je ne sais pas si les choses sont très différentes aujourd’hui. Vous auriez pu nous poser la question à l’époque où j’ai commencé. En 1989, les perspectives étaient très négatives. C’est comme ça que je m’en souviens, en tout cas. Et elles sont encore négatives aujourd’hui. Comment les évaluer ? Je ne sais pas, on ne m’a pas tiré dessus, je n’ai encore rien expérimenté de tangible qui me fasse dire que c’est différent. Mais on vit toujours dans ce même genre de mélange de crasse et de beauté. En tout cas, c’est mon expérience.
Paz Lenchantin : Je préfère voir les choses par moi-même que lire les infos dans la presse ou les entendre à la télé. Bouger, voir le monde, ressentir, ça fait partie de l’expérience qu’est une tournée. Hier, en allant à Bruxelles, j’ai remarqué un grand « MAD » peint en blanc sur un mur : ça m’a affecté plus que quelque chose que j’aurais pu lire à propos de l’état d’un pays. Mais bon, c’est une manière plus juste d’appréhender les situations que de le faire par le biais des explications ou du point de vue de quelqu’un, non ?
Paz, quel genre d’expérience est-ce d’enregistrer un album avec les Pixies ?
Ah, j’aimerais bien qu’il y ait un mot pour décrire ça. Ou que je retombe dessus, du moins. Genre « fantastique », « incroyable »… Enfin, je les ai déjà utilisés auparavant, et ici, ce n’est pas encore exactement ça. Donc je suis toujours à la recherche du terme qui pourrait traduire mon plaisir, mon excitation, de faire ce disque avec les Pixies.
Frank : Nous étions comme incomplets pendant un bon moment, en fait depuis que nous nous étions remis ensemble. Que fait un groupe, en réalité ? Il joue des concerts, il répète, et il va en studio enregistrer des chansons. Pas plus que ça, point. Dès lors, quand vous ne pratiquez pas l’une de ces activités, c’est comme si quelque chose manque, comme si ce groupe n’est pas tout à fait réel. Nous nous sommes remis ensemble en 2004, mais nous ne sommes allés que deux fois en studio, et encore, ce n’était pas pour un album des Pixies : pour un tribute, et l’autre fois, il me semble, pour une bande-son ou quelque chose comme ça. Aujourd’hui, avec Paz, nous sommes à nouveau un vrai groupe. Une petite bande, une petite famille, un petit club… C’est bon. Et il y a un sens de l’humour propre à ce groupe, que Paz a contribué à raviver.
Il ressemble à quoi, l’humour des Pixies ?
Frank : Il est parfois vraiment puéril. Très simple, basique, un peu abstrait…
Il y a un sens religieux au titre de l’album, « Head carrier » ?
Frank : Oui, bien sûr.
En français, on parle de céphalophore…
Frank : Oui, oui, et nous avions pensé l’intituler Céphalophore. Mais quand nous avons dit ça à notre agent, il a tiqué.
Paz : Il a dû comprendre « cephallus » ou quelque chose comme ça !
Frank : Sûrement ! Mais bon, le terme dégageait quelque chose de trop archaïque. Et puis, c’est vraiment difficile à prononcer.
Vous ne vous sentez pas parfois un peu coincés entre ce statut de groupe « historique » et l’envie, éventuellement, d’être perçus comme une formation rajeunie, de 2016, même ?
Frank : Je veux rivaliser avec qui que ce soit d’autre, dans ce milieu. Peut-être ont-ils mon âge, là, peut-être sont-ils plus âgés, ou plus jeunes, mais rivaliser, c’est une idée qui me plaît !
La pochette de Head carrier est signée comme toujours par Vaughan Oliver : qu’appréciez-vous chez lui ?
Frank : Il crée des ensembles, des packages qui sont très beaux mais aussi un peu, disons. Et je crois que c’est aussi comme ça que nous sonnons : un peu beaux mais un peu effrayants, un peu terrifiants mais aussi un peu amusants. Il a toujours fait réalisé nos pochettes, c’est une belle veste à porter… Pourquoi changer de tailleur quand il fait du beau travail ? Ce qu’il fait, c’est de l’art, et ça correspond à notre vision. Cette collaboration n’est pas quelque chose qui a été calculé, il se trouve juste que ça a bien fonctionné depuis la toute première pochette qu’il a réalisée pour nous. C’est une sorte de production lynchéenne, donc nous signons, évidemment !
Un bon morceau des Pixies, c’est quoi ?
Frank : Je ne sais pas… Tu en penses quoi, Paz ?
J’aime vraiment jouer toutes les chansons des Pixies. Ces derniers temps… c’est un peu comme vos enfants : vous les aimez tous, et vous trouvez que chacun a quelque chose de particulier, L’autre soir, en la jouant, je me suis rappelé la première fois où j’ai entendu « Caribou » (ndlr : sur l’album Come on pilgrim, en 87), et ça m’a fait quelque chose. Bon, demain, ce sera une autre, et une autre histoire, mais aujourd’hui, c’est « Caribou », et je l’aime vraiment beaucoup.
Vous vous rappelez de la première fois où vous avez entendu un morceau des Pixies ?
C’était… il y a longtemps. Le premier disque que j’ai acheté, c’était Doolittle. Après j’ai écouté Surfer Rosa, puis Bossanova puis Trompe le monde, puis Indie Cindy quand je les ai rejoints, et maintenant Head carrier.
David Bowie a dit que le split des Pixies avait été une tragédie pour le rock américain. Quid de son décès, et de l’influence qu’il a pu avoir sur votre musique ?
Frank : Eh bien… Je ne sais pas si c’est vraiment une perte ou autre chose, La mort est au programme, vous savez, c’est comme ça. Le mieux qu’on puisse faire alors, si c’est possible, c’est apprécier les gens quand ils sont toujours en vie. Et de cette manière, ils peuvent avoir un peu de feedback de votre part. J’ai toujours eu du mal à chanter les louanges de quelqu’un après son décès, mais bon… la tribu ne peut éviter de parler d’un décès : nous avons perdu notre shaman ! Donc oui, on en parle tous ! Et puis, je pense qu’à notre époque de l’information moderne, c’est comme un écho gentil mais un peu vague du culte de la mort. Vous savez, on scanne en permanence : qui est toujours avec nous et qui est mort aujourd’hui ? C’est constant, de nos jours. Et je crois que ça commence à me déranger, si je peux être franc. Bien sûr, je sais que c’est une manière de rendre hommage à la personne disparue, c’est le moment évident, mais je préfère que ça se fasse quand la personne est vivante, c’est plus important.
Didier Stiers
En concert le vendredi 25 novembre à Anvers (Lotto Arena)