Le festival namurois, qui s’ouvre ce jeudi, comporte un volet hip hop depuis la toute première édition. Rebelote cette année, alors que Convok sort (enfin) son premier album solo.
Rien de tel, pour animer une ville qui a vu naître un groupe de danseurs comme Namur Break Sensation (c’était il y a 25 ans), de glisser du hip-hop dans le programme. Voire carrément un « hip-hop Friday » ! Ce 28 octobre, vendredi donc, on causera dès lors musique urbaine avec des connaisseurs du genre au Point Culture, on graffera en live avec JNC Kingz (le collectif liégeois, également 25 bougies cette année), on bougera le temps d’un atelier de b-boying (NBS en sera), on mixera aux platines, et tout ça pour être correctement échauffé avant les concerts-événements du soir. Celui, notamment, d’Ärsenik, la légende française du Val d’Oise. Et celui du Bruxellois Convok, qui étrennera sur scène Un jour plus vieux, son premier album personnel…
Convok, c’est déjà toute une histoire. Une histoire au service de la cause hip-hop certes, riche de textes et de sons, mais également de projets avortés. Logique dès lors que la sortie de cet album, après un cinq titres paru en 2010, prenne des airs d’événement. Ses déboires passés, aux raisons plus personnelles que purement artistiques (« Là, par moments, il faut mettre la musique de côté »), semblent avoir déteint sur ce disque. Les constats y sont durs, posés, pense-t-on parfois, par un misanthrope. « Comme je le disais dans « Nos vies sont les mêmes », la mienne est une succession d’échecs cuisants. Après, comme c’est un premier album, il résume un peu ce que j’ai vécu jusqu’ici, et c’est sûr que je n’ai pas une vision super rose de la vie. Mais je ne suis pas non plus dans les sons dépressifs, j’essaie toujours de garder une touche d’espoir, de ne jamais dire que c’est foutu. Maintenant, je suis persuadé que ce n’est pas en lançant des pétales de fleur aux gens que les choses vont changer. »
Il parle cru. « Vulgaire mais cultivé », s’amuse-t-il dans un de ses morceaux… « Mes textes ont toujours été comme ça. Parfois, on me dit que c’est limite, un peu misogyne, mais il faut savoir que le plus souvent, quand je parle de « putes », je parle d’hommes. Pour moi, c’est un exutoire, c’est là-dedans que je passe mes nerfs, ma rage… » Il n’est pas le seul, notez. Quant au langage fort peu châtié, venu de France ou d’ailleurs, il est presque de rigueur. C’est que le rap a fondamentalement changé, d’après lui. « Les gens ne font plus du rap de la même manière, pour les mêmes raisons. Avant, ils essayaient de passer un message et même s’il était cru, il y avait quelque chose derrière. Maintenant, de ce que j’en vois – je n’écoute pas des masses de rap français mais beaucoup de rap américain -, il n’y a plus de message. C’est juste vendre du rêve : « J’ai une voiture de luxe, quatorze biatchs et des lignes de coke… » Je ne m’y retrouve pas super fort ! »
Convok est friand de nouvelles tendances musicales. Et Un jour plus vieux d’avoir un pied dans le classicisme, l’autre dans le contemporain. « J’adore les nouveaux sons, les grosses basses, ça me fait kiffer à mort. Et je crois qu’il doit y avoir moyen d’allier un peu les deux, mais ça ne se fait pas trop pour l’instant. Ce sont des prods faciles, les gens ont un discours facile, un flow facile… »
Un son facile entraîne-t-il un texte facile ? Question de dissertation, ici ! « Je pense que c’est la mode, que les gens étaient un peu en demande de ça, qu’ils en avaient peut-être aussi un peu marre d’écouter du rap qui fait tout le temps réfléchir. Parfois, tu as envie de musique pour t’amuser… » Sans compter qu’aujourd’hui, ce sont les radios qui mènent un peu/beaucoup (biffez la mention inutile) la danse ! « Je ne dis pas que tout ça c’est de la merde, mais à partir du moment où elles ne mettent que ça en avant, fatalement, la génération qui arrive après, pour elle, c’est ça le rap ! Le gars qui a 15 ans, qui n’a écouté que La Fouine et les autres, tu vas lui faire écouter du Oxmo Puccino, il va te demander ce que c’est que ce truc de… jazz ! Heureusement, tout le monde n’est pas comme ça. Il y a beaucoup de petits qui se sont renseignés et qui connaissent un peu leurs classiques. Ça fait plaisir ! »
Si le rappeur ne se contente pas d’écrire mais fait aussi du son, c’est pour une raison est toute bête : « J’ai surtout la particularité de ne pas aimer attendre. J’ai appris à faire des prods pour ne pas devoir courir derrière des beatmakers. J’ai appris à faire du graphisme pour ne pas devoir courir derrière un graphiste. Du montage vidéo, un peu tout… Mais c’est le son et le rap que j’ai vraiment poussés. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de beatmakers non plus. Je me suis dit, quitte à attendre qu’un gars apprenne à bien le faire, autant l’apprendre moi-même ! » Précisons quand même que l’album fourmille de guests (« Des gens de mon entourage avec lesquels j’avance depuis longtemps. ») : Convok n’y a pas tout fait tout seul.
N’empêche, il reste que c’est par l’écriture qu’il a commencé. Avant même de faire du rap. « J’écrivais pour évacuer. C’est quelque chose que ma mère m’a inculqué, la thérapie par l’écriture. Et puis j’aime la musique, ça me fait du bien d’en faire, je pourrais m’enfermer deux mois dans un studio et ne faire que ça, sans manger ni boire ! » Au-delà, ne cherchez pas de démarche particulière. « Quand un instru me parle, je le garde et mon texte coule tout seul. Par exemple, si je me sens mal, il faut que ça sorte ! »
Qu’on se rassure, Un jour plus vieux n’est pas tout noir. Convok distille ici et là une touche d’humour. Comme sur « Roadrunner », référence bien sûr au dessin animé (Bip Bip et Coyote, pour ceux qui kiffent Jean-Baptiste Poquelin). « La vie n’est pas rose, mais je ne suis pas de ceux qui disent que c’est mort. Je n’aime pas l’esprit défaitiste. Je suis réaliste. La vie est dure, mais il y a des gens qui ont fait des choses incroyables, et il arrive un moment où c’est à notre tour d’en faire. »
Didier Stiers
Infos et programme complet : www.beautessoniques.be
Convok sera également le 5 novembre au Botanique.