Nicolas Jaar jeudi à l’AB, Andy Stott mardi au Bota, deux soirées cette semaine qui ont quelque part marqué un passage de témoin : ce moment où les sets clubbing ont investi les salles de concerts.
Andy Stott, Vatican Shadow et Orphan Swords au Botanique, mardi 29 novembre.
A dire vrai, on y allait les mains dans les poches. Parce que c’était à côté, et qu’on était curieux de découvrir en live celui qui avait sorti, pour beaucoup, un des tout bons albums électro de 2014 (Faith In Strangers). Une œuvre au noir, quelque part entre l’école Warp et l’EBM des années 80. En fait, un disque tout droit sorti de la riante cité de Manchester, comme avant lui Closer de Joy Division et Confield de Autechre. Depuis, le bonhomme a sorti un nouvel album en début d’année, qui se rapproche d’un format qu’on qualifiera de pop.
Bref, à l’heure de débarquer à l’Orangerie, alors que les Bruxellois bruitistes d’Orphan Swords terminent leur set, on s’attend à une soirée d’esthète plutôt intimiste… Mais ce ne fut pas exactement le cas. A peine dans la salle qu’on est littéralement agressé par la violence du son, à faire passer My Bloody Valentine pour un gentil groupe de bal. C’est la fin du set, mais on comprend d’office : ce soir, c’est soirée Berlin.
Confirmation avec Vatican Shadow qui prend le relais. C’est un DJ set comme au Trésor ou autre boîte berlinoise. Le bonhomme est certes américain, le son est carré, lourd, froid. Techno. Il quitte de temps à autre ses platines pour s’enquérir de la foule à l’aide du lampe de poche. Inquisiteur. Puis s’excite, hurle, les bras en l’air. Demande plus de réaction. Dans l’Orangerie du Botanique, salle feutrée et bon enfant, un mardi soir hivernal (et quasiment remplie, soit dit en passant)… Pourtant, il finit par obtenir ce qu’il veut. En une heure de set, les basses arrivent par trouver leur chemin et imprègnent les corps. Parfait timing pour ce qui va suivre.
Andy Stott, donc, trois albums et une dizaine d’EP’s au compteur depuis 2005, seul dans la pénombre, travaille le beat et nous met une claque monumentale. Pas moins. Cet instant où le corps vibre et ne fait plus qu’un avec le son. Stott joue quasi uniquement sur le beat, rajoutant ça et là des fréquences, atmosphères, fluidifiant un peu les sons concrets. Et se pose, de cette manière, pile au milieu du chemin qui sépare les expérimentations minimalistes d’Autechre et les montées acidifiées d’un Jon Hopkins. A la fin, les fréquences nous transpercent et nous transportent. Littéralement. Et on flotte au-dessus de la masse terrienne comme si le corps n’était plus qu’esprit. Un ressenti merveilleux.
En sortant du Botanique, vers 23h30, un couple arrive, découvre les lieux et demande : « Les concerts, c’est par où ? » Euh… Comment dire ?…
Nicolas Jaar, Ancienne Belgique, 1er décembre.
Autre scénario ce jeudi. Nicolas Jaar est connu des lecteurs de Pitchfork – il n’y a pas de malentendu, le bonhomme est attendu. En clair, on ne peut pas faire plus branché. Et pour une fois, la hype a du bon. Ses deux albums solo (plus le projet Darkside et différents EP’s – dont un sur le label gantois historique R&S) entre electronica, pop et ambient sont impeccables, sans faute et ratissent large. D’où ce concert sold out en à peine vingt minutes. Autant dire que l’AB est bouillante et remplie jusqu’aux balcons quand le Chilien de New York débarque en survêtement et entame en douceur un set qui durera près de deux heures.
Le fait est que Nicolas Jaar aime les silences. C’est parfait sur disque, mais là, malheureusement, ça va être difficile. Ca jacasse dans tous les coins, les gamins trop contents de se retrouver in the place to be , limite à se prendre en selfie tandis que les autres sont tendus et nerveux. La première demi-heure est ainsi un peu bizarre, le producteur tentant de créer une atmosphère qui s’installe, mais ne se maintient pas. Et puis, au sortir d’un détour, le voilà qui lâche le beat…
Le son est alors énorme, clair, prenant. Jaar redescend en douceur, réinstalle l’ambiance qu’il veut installer et se lance dans « No », titre aux accents hispaniques sur l’histoire du Chili qu’il chante lui-même (en espagnol, donc). Et tout le monde suit le rythme lancinant, presque reggae. A partir de quoi, la voie est libre. Nicolas Jaar trace des routes en serpentin dans les montagnes, qui montent, redescendent, sont calmes avant d’exploser en torrents. La dernière partie du concert sera ainsi quasi essentiellement dominée par le gros son qui finit par exploser dans tous les sens. L’AB est décoincée, les gens dansent, se laissent enfin aller, version clubbers.
L’air de rien, le New Yorkais a imposé son univers, à la fois pop et exigeant, abstrait, subtil et efficace. Les guitares sont oubliées, le règne du beat est imposé.
DIDIER ZACHARIE