C’était au temps où Akro chillait…

Et hop, voilà qu’il nous clippe sans crier gare un nouvel extrait de son album Quadrifolies ! L’occasion de causer avec lui du rap en Belgique. Et de son boulot à la RTBF…

Il a ajouté une corde à son arc. Rappeur en solo, MC avec Starflam, voilà désormais Akro aussi chef éditorial de Média Z (c’est un nom de travail), le projet hip hop de la RTBF. En 2018, on le découvrira donc non pas en FM mais en DAB+ (pour Digital Audio Broadcast). Et d’ici là, sur un site web et une application mobile. Quant au débat qui porte sur l’attention prêtée à la scène rap belge par nos médias nationaux, ça fait un bail qu’il le connaît. Et le vit. Il l’évoque même en filigrane dans son dernier clip en date ! En bonne compagnie, qui plus est : Daddy K, pour ne pas le nommer…

 

Comment expliquerais-tu cette absence du « rap belge » dans nos médias généralistes alors que même en France, on s’y intéresse ?

Tout d’abord, il y a le territoire. N’oublions pas que la France est 20 fois plus vaste que la Belgique, et uniquement francophone. L’offre sur la France a donc tout de suite plus de répercussions, en termes d’opportunités, de diffusion, de concerts, de tournées… On peut en vivre. En Belgique, il y a parfois eu ce petit sentiment de honte, ou bien le manque de moyen, l’exiguïté du territoire pour s’exprimer. Souvent, il a fallu qu’il y ait un retentissement en France ou à l’étranger pour qu’on se dise en Belgique que oui, c’est vrai, on a un talent sur lequel on n’avait pas encore misé… Prenons le cas avéré de Stromae, mais on le voit aussi aujourd’hui avec Roméo Elvis, avec Damso qui font des disques d’or à l’étranger.

Ils ont tout compris ?

Ils sont aussi déjà plus tournés vers ces codes français, dans la façon de s’exprimer, de présenter leur produit… C’est vraiment dommage que les médias d’ici n’aient pas permis plus tôt cette tribune au hip hop. Ce décrochage a fait qu’ils ont choisi de consacrer leur énergie à aller vers Paris plutôt que la perdre chez nous. Je pense qu’effectivement, ces gens ont compris que c’est par là que ça passe.

Braquer aujourd’hui les projecteurs sur cette jeune génération ne risque pas de créer des monopoles ? Et de confiner d’autres artistes dans l’ombre ?

Mon souci, dans le média que je vais défendre, c’est de devoir m’adresser aux 18-24 ans. Ce n’est pas la génération avec laquelle j’ai grandi. Je dois donc m’adapter aux nouveaux codes et à l’évolution de la musique, mais c’est très bien, ça me permettra de me rafraîchir personnellement sur tout ce qui sort. Par contre, on aura toujours – ma génération – cette frustration de ne pas avoir eu cette tribune. Personnellement, je me place en mode transmetteur de relais, comme aux J.O. Je me dis qu’on n’a eu que ce qu’on a eu, mais on est quand même là, on existe et on a existé ! Maintenant, ce n’est pas parce que tu as un canal qui peut te permettre d’avoir une assise que les jeux seront plus simples. Chaque configuration, chaque période, va être propre à ouvrir ou fermer des portes pour chacun. Ici, on devra surveiller, ou être des avant-gardistes sur les courants de demain. La difficulté va être là. Mais ce n’est pas pour ça qu’on va exclure les anciens.

 

Les « gamins » connaissent leurs classiques ?

On a même fait des études avec les jeunes, et il n’y a pas de rejet ou d’oubli de l’old school. Tu leur fais écouter un Biggie, un 2Pac, ou ça peut être un morceau français, un NTM ou un classique d’IAM : ils ont grandi avec ça. Ce sont leurs cousins, ou leurs parents même qui ont écouté ça à la maison. Il n’y a aucun rejet, ce qui laisse la place aussi à quelqu’un d’expérimenté dans le hip hop. Je prendrai le cas d’un dj installé depuis 20 ans : s’il vient avec des classiques, des vieux funk, et en même temps balance le tout dernier truc hype, il a sa crédibilité, les jeunes vont le suivre. Il y a un grand regain d’intérêt des nineties… Ces codes-là, ils se les réapproprient, ils les font évoluer. C’est cyclique, c’est la mode, mais je sais très bien qu’il y a toujours un pont avec le passé. Donc oui, on peut mettre en avant les personnalités du passé, mais l’équipe que je vais recruter va se situer entre 18 et 30 ans. Je ne peux pas prendre des gars de 45 ans, quoi ! Je n’ai pas envie d’avoir l’impression d’être complètement hors phase avec le discours et les gens à qui on veut d’adresser.

 

Même si on ouvre une nouvelle porte, il y aura toujours moins d’élus que d’appelés. Tu vas devoir être psychologue…

Bien sûr, mais la grande force que j’ai, c’est que je suis artiste. Donc je me place de leur côté. J’ai envoyé des tas de démos à des médias qui ne m’ont jamais répondu, à l’époque. Là, et tu peux le demander à quiconque m’adresse un message Facebook pour me faire écouter un morceau ou voir un clip, je prends toujours la peine d’écouter et de répondre. Après, il y a parfois des choses à améliorer : quand quelqu’un est trop jeune dans sa démarche artistique, je pense que si je le lui dis avec diplomatie, il va bien le prendre. Mais mon but sur ce média, c’est vraiment d’avoir un rôle de service public. Ça veut dire que je ne veux pas faire un truc d’élite, je ne veux pas être « hit music only », je ne veux pas ressembler à un média où les gens sont des animateurs qui se prennent pour des Parisiens. Il faut qu’on ait cette fierté nationale, il faut qu’on ait ce côté local. Si un gars tue, il tue, c’est tout ! Je vais baser mes sélections sur des gens pertinents, mais les portes sont ouvertes à toute la diversité, à tous les talents de Belgique.

 

Imaginons que le média soit déjà en place : trois artistes qu’on y entendrait d’office ?

Attention, je veux aussi dépasser la sphère du rap. Bon… L’Or Du Commun, Coely, et un dj par exemple. Ou un graffeur, ou un gars qui fait des vêtements, un créateur. Une femme, un homme et un groupe. Qui représentent la nouvelle génération belge qui fait ses preuves et qui est positive. C’est très important pour moi, parce que le rap véhicule aussi un tas de messages quand même très… Je ne sais pas si c’est le fait de ne pas avoir été confronté aux médias, mais il y a une espèce de liberté d’expression qui fait aussi qu’on dit tout et n’importe quoi, qu’il n’y a pas de valeurs, tu vois ? Et moi, je veux quand même être garant des gens qui ont des choses à dire, même si c’est de la provoc dans leurs textes, comme j’ai pu en faire. Je n’ai pas de souci avec ça, mais il faut quand même qu’il y ait une deuxième lecture, un deuxième degré, un fond. Des gens comme Caballero et JeanJass sont en mode freestyle ego trip mais ils ont quand même des punchlines qui racontent des choses derrière. Je veux avoir pour démarche de mettre en avant des gens qui ont une plume, un concept, des gens qui ont vu plus loin que leur petit ego de quartier.

Didier Stiers

 

 

Didier Stiers

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