C’est samedi au Cirque Royal qu’avait lieu la première d’une création signée Bachar Mar-Khalifé. Avec The Water Wheel, il rend désormais un hommage à l’artiste nubien Hamza El Din, découvert à 16 ans.
« Le faire avec mon groupe, des musiciens additionnels et Alsarah, c’est un peu comme exorciser ce que j’entendais déjà à l’adolescence », nous disait Bachar Mar-Khalifé il y a quelques jours à propos de ce projet qui lui tenait on ne peut plus à cœur. Et voulu pour rendre compte du caractère à la fois rock et universel de ce que jouait il y a quelques décennies ce père de la musique nubienne contemporaine. « Ce sont les choses les plus simples qui m’ont le plus bouleversé. Et ça, c’est grâce à des gens comme Hamza El Din : il joue du oud, il chante, c’est très simple et en même temps, ça m’a fait l’effet d’une symphonie. Et pourtant, il n’y avait pas besoin d’orchestre symphonique parce tout était là. »
The Water Wheel est ici une création, pas un exercice de « covers ». Deux univers ouvrent leurs chemins sinueux et fusionnent à plus d’une reprise. Orchestre, il y a… Le Franco-Libanais est assis entre un piano droit et un synthé. A ses côtés : un batteur, une percussionniste (qui nous retournera le temps d’un solo de feu), un bassiste, un joueur de oud, un autre de saz, et Alsarah, chanteuse nubienne à la présence magnétique. Bachar évoquait toute la complexité – pour lui – de cette « collaboration » ; sur la scène du Cirque, elle coule de source !
Autant en 2016, le public du Musée avait été saisi, cueilli par l’émotion se dégageant des extraits de Ya Balad – et ce fut un plaisir indicible que de la ressentir – autant ici, il est comme aspiré au cœur d’un kaléidoscope. Où les sens voyagent, et dans lequel s’emmêlent tradition et sophistication, Orient d’antan et Occident intemporel. Transe et méditation. Jazz et rock : le clavier se balade même brièvement du côté de… « Child in time » !
Et puis, il y a Alsarah, chanteuse, compositrice et ethnomusicologue née à Khartoum. Coupe afro sur le profil droit, crête punk sur le gauche. Et un sourire qui renvoie au bonheur procuré par ces chansons nées il y a quarante ans puis baladées entre Egypte et Etats-Unis. « Nous nous sommes rencontrés en 2015, et quelque chose s’est passé. La première chose que je lui ai dite, c’est que j’adorais la musique de Hamza El Din, et que c’était fabuleux pour moi de rencontrer une chanteuse nubienne. Quand j’ai réfléchi à ce projet, j’ai tout de suite pensé à elle, évidemment. »
Sur scène, l’évidence est là aussi, juste, pas fabriquée. Dans un regard, un sourire complice, une invitation à frapper dans les mains. On ne comprend pas les paroles, on cherche même encore toujours le titre de ce morceau présenté comme « s’il devait y avoir un hymne nubien, ce serait la chanson qu’on vient de chanter »… mais ce n’est pas grave : la force de ces compositions est ailleurs que dans ce qu’on capte du texte ou de l’époque. « J’ai l’impression que le mot « sacré » a un synonyme, c’est « émotion », tout simplement, nous disait encore Bachar il y a quelques jours. Et pour moi, la musique fait partie du sacré, parce que c’est quelque chose qui nous dépasse, qu’on ne maîtrise pas à cent pour cent. Et c’est aussi quelque chose qui parle en son nom propre, qui reste entre deux mondes, et je n’ai pas envie de maîtriser la chose au point de l’étouffer, d’annihiler tout sens de la magie. »
De la magie, il y en a ce samedi soir. Même si l’un ou l’autre petit commentaire explicatif n’aurait pas été de trop. Après la standing ovation (bizarre, au fait, cette fosse en configuration « fauteuils ») et les salutations d’usage, il remonte une dernière fois sur scène. Non pas pour jouer un dernier morceau mais pour s’excuser : « Cette création dure une heure, on ne pourra pas faire plus sous peine de faire des bêtises. » Et de gâcher cette belle impression de liberté joyeuse ressentie tout au long de cette soirée. Une impression déjà perceptible plus tôt avec Yasmine Hamdan qu’on aurait tort de réduire à une Madonna du Liban tant elle tisse des liens entre folk arabe et underground rock, électro et musique traditionnelle, du « Hal » chanté pour Jim Jarmusch (Only lovers left alive) au « Beyrouth » toujours émouvant en passant par « Al Jamilat », plage titulaire de son dernier album en date.
Didier Stiers