« Double Plus Ungood » : film rock’n’roll

Il l’a fait ! Le chanteur de La Muerte, également réalisateur, tient enfin son long-métrage. La première belge avait lieu jeudi à Flagey. Et franchement, on est bien content d’y être allé !

Double Plus Ungood est un film d’artisans. Un peu à la Roger Corman. Un film de passionnés parce que bourré de références cinématographiques, musicales et littéraires. Pas dans le sens hommage servile : certaines sont même joyeusement détournées. Passion ? Celle qui fait aussi tenir le coup pendant près de 5 ans de labeur. De sang, de sueur et de larmes. D’aide et de bouts de ficelle, assortis d’un p’tit coup de kick… starter en cours de route. Une route qui relie Bruxelles (la nuit surtout), la Californie et l’hallucinante Tour d’Eben-Ezer, arpentée par un acteur à la gueule de DeNiro (Wild Dee, coauteur du scénario, chanteur des Wild Ones qui viennent de reprendre du service).

Il y a du film noir, dans ce Double Plus Ungood de Marco Laguna. Du polar comme du gore. Du giallo, en gros plans sur globes oculaires et mains gantées… Un peu de Tarantino aussi, dans les dialogues et les monologues, mais alors du Tarantino qui aurait fait une fixette sur la Bible pour l’accommoder à sa sauce. C’est qu’après 15 ans passés à l’ombre, Dago Cassandra (né dans un précédent court-métrage du réalisateur) revient chez lui investi d’une mission. Une mission divine, pour cette incarnation des 4 Cavaliers de l’Apocalypse : éliminer les 12 apôtres de Lucifer « représentés par la pyramide du pouvoir », des banquiers, traders et autres avocats d’intouchables salopards (sous les traits de Bouli Lanners). Les morts s’accumulent, décomptés dans une litanie de bulletins radio. Jusqu’au sacrifice final. Sauvagerie, onirisme et excentricité plutôt que linéarité et respect des conventions : ouaip ma p’tite dame, c’est du cinéma bis avec un Z majuscule !

La bande originale, disponible en double vinyle, rassemble quelques têtes bien connues de nos services. On y entend par exemple « Easter » de Moaning Cities, extrait de l’album Pathways through the sail sorti en 2014. « Marco nous a demandé de lui donner une version instru, raconte Valérian Meunier, et puis il a édité le truc de son côté pour que ça rentre dans la scène. » Le chanteur et guitariste du groupe était jeudi soir à la projection. Réentendre le morceau sur des images, ça fait quoi ? « Ça m’a bien plu, cette séquence en particulier, en dehors du reste (ndlr : une scène légèrement bdsm en noir et blanc). Je trouvais que ça sonnait plus rough, plus trippé que sur notre disque, bizarrement. Mais ça fonctionne super bien, même si le collage était un peu brut. Le raccord avec le plan d’avant où le personnage entre dans le motel est foireux, mais c’est ça qui est chouette avec le film : rien à branler de la cohérence sur ce genre de détails et on y croit parce que c’est brutal et surréaliste ! »

Frontstage - DPUG 3

Jean-Marc Lederman (The Weathermen, Leatherman avec Jacques Duvall, …) y signe quatre titres, en plus d’avoir fourni du son. « J’ai commencé à travailler il y a à peu près un an et demi. Le film en était au montage. Ça a été une course de Marco pour arriver à tout faire. Mais c’est incroyable : il a nettoyé les écuries d’Augias ! »

Le musicien, chargé notamment des cuivres, violons et autres cordes, a ici opté pour une approche extrêmement « bruitiste », selon quelques sources d’inspiration bien précises. « J’essayais de faire ce que faisait un de mes compositeurs préférés : Bernard Herrmann, le compositeur d’Hitchcock. Disons que je me suis inspiré de cette manière de sortir les instruments de leur tessiture et de leur rôle habituels, de leur zone de confort. Depuis le début de ma carrière, c’est le travail sur le son qui m’intéresse. On s’est aussi basés sur Bruno Nicolai, qui était un collaborateur de Morricone et cosignait énormément avec lui. En fait, les avancées sonores les plus frappantes venaient surtout de Nicolai. Avec Marc, on s’est également inspirés de John Carpenter : les premiers synthétiseurs analogiques, quelque part presque ringards maintenant, mais en même temps tellement bruts, tellement directs ! »

Là encore, la musique qui fourmille de références, colle parfaitement au film. « Ces références, c’est une des caractéristiques de notre génération. Les références au gore, à Tarantino, au film noir, aux vieux pornos, aux films sataniques… La musique, c’est la même chose : on a vraiment pris trois éléments qui n’ont rien à voir, et un quatrième un petit peu avec les Young Gods, et on a vraiment assemblé ça. Je trouve que le collage fonctionne bien. »

Marco Laguna, alias Marc Du Marais n’est pas que le chanteur à la tête ensachée de La Muerte, il est aussi un passionné de musiques de films. Et de Morricone, notamment. « Le thème est très Morricone, reconnaît Jean-Marc Lederman, mais je trouve que ça donne bien. C’est extrêmement référentiel tout en restant totalement dans les limites de ce qu’il y a à faire. C’est un clin d’œil, ça amène le spectateur à avoir un autre regard. Il aurait pu mettre une musique à la Daft Punk, ça n’aurait pas du tout donné le même effet. C’est comme dans la musique : dans le cinéma, tu dois donner des clés pour la compréhension de ton film. »

Frontstage - DPUG 2

Le thème, justement, a été imaginé par Renaud Mayeur. L’homme de Dario Mars a vu quelques scènes, écouté des musiques avec le réalisateur… « Il m’a dit qu’il voulait un truc entre Morricone, de Roubaix et Gainsbourg. Quelque chose de plus français, plus franco-italien que US. C’était ma mission : Gainsbourg, de Roubaix, et j’ai rajouté un côté un peu plus polar, genre Philippe Sarde tu vois ? Avec les breaks de batterie, un peu dramatiques, comme ça… » Et Morricone ? « Oui, aussi ! On discutait de la b.o. de ce film, des références, et c’est marrant, j’avais justement un truc en tête. Le thème… Je sifflais ça, et je me demandais ce que j’allais bien pouvoir en faire quand il est arrivé ! C’est marrant, la vie parfois… Il a accroché. Et on l’a décliné en deux, trois versions. Sinon, on s’entend bien. Il est tellement précis au niveau des références, c’était facile. On a emballé ça en une semaine ou deux. »

« I wish I was with you » et « Soulless » sont par ailleurs des versions 100% solo de ces titres figurant sur l’album The last soap bubble crash sorti plus tôt dans l’année. « C’est des trucs plus rock’n’roll dont il avait besoin, explique Renaud Mayeur. J’avoue qu’il y avait là une très lointaine influence La Muerte, dans le côté répétitif et implacable. Mais c’est toujours resté une influence, d’avoir joué avec eux (ndlr : en 96). On faisait tourner des riffs en boucle, comme ça… Donc ça ne m’a pas étonné. En plus, c’était à l’époque où on les enregistrait et il a bien aimé. Il sait bien que La Muerte est aussi une influence, chez moi. »

« Marc avait tout prévu en amont, selon les couleurs qu’il voulait donner. C’est vrai, c’est un peu un kaléidoscope d’ambiances différentes. De références à des époques et à des genres de films différents. Pour travailler, j’ai vu le film « en pièces détachées », mais pour le peu de budget, c’était bluffant ! » C’est aussi ce qu’on s’est dit jeudi, notamment pendant cette poursuite de bagnoles – Jaguar vs Merco -, assez inédite dans notre cinéma, filmée nerveusement juste comme il faut ! Et livrant au passage un des plus beaux (oui : « beaux ») plans du long-métrage : une prise de vue en plongée dont on ne vous dira pas plus, histoire de ne pas spoiler.

La suite ? Voyez la page Facebook du film, qui vient d’être présenté au Mipcom et devrait notamment entamer son parcours sur le circuit des festivals. Pour commencer…

Didier Stiers

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